Etes-vous technophile ? Ce terme s’applique aux individus qui apprécient les technologies, s’enthousiasment pour l’innovation et considèrent que la technique et ses usages constituent un progrès pour l’humanité. Le technophile s’oppose au technophobe qui se méfie des nouvelles technologies, voir les refuse et prône un mode de vie alternatif.
Cependant, les technophiles ne sont pas pour autant des technofans ou des technofurieux. Ils ne souffrent pas nécessairement de cyber-dépendance et peuvent poser un regard critique sur les technologies. De la même façon, on peut être technophile sans passer des heures à faire la queue devant un magasin Apple. Il s’agit plutôt de poser un regard optimiste sur les nouvelles technologies et leurs usages en espérant qu’elles apportent une solution aux problèmes de l’humanité. Ainsi, Steven Levy préfère le terme techno-optimiste qui concerne l’usage des technologies plutôt que les innovations techniques en elles-même. Les techno-optimiste sont une vision humaniste de l’innovation et notamment de l’informatique et du web. Mais le progrès technologique signifie-t-il pour autant un progrès de l’humanité ?
Internet fait du monde un village.
Le développement du web favorise une connexion électronique mondiale et permet le dialogue avec des internautes d’autres continents. Internet apparaît alors comme un moyen de connecter tous les hommes et génère des utopies. On voit alors naître des communautés virtuelles, dépassant les contraintes physiques et les limites géographiques pour réunir les hommes selon des centres d’intérêts communs. Le web connecte le monde entier et, dans un même temps, favorise la création de micro-communautés. Le monde semble être un village. Il s’agit alors de permettre au monde entier d’y accéder en réduisant les fractures numériques comme l’envisage le mouvement Internet.org mené par Facebook.
Internet et la mondialisation favorisent les prises de conscience mondiales sur des préoccupations communes à l’ensemble de l’humanité comme l’écologie, le commerce international, la faim, les pandémies… De la même façon certains biens culturels (vidéos, musiques, films…) sont partagés à échelle mondiale et touchent des millions d’internautes. On pourrait alors alléguer que l’informatique a contribué à rapprocher les hommes en créant une cyberculture mondiale. Mais cette affirmation doit être nuancée du fait de la multitude de cultures présentes sur le web et la fracture numérique persistante.
La cyber-culture et le web 2.0.
Le terme de cyberculture apparaît au début des années 90 avec la démocratisation de l’informatique et de l’accès à internet. La cyberculture a pour origine la contre-culture nord-américaine des années 60. Croyez-le ou non mais les geeks sont en quelque sorte les descendants des hippies (si si si !) du moins, c’est ce qu’affirme Fred Turner, professeur à l’université de Stanford dans son ouvrage De la contre-culture à la cyber-culture. Avec son esprit de partage, de gratuité, de liberté et de contribution collective, internet s’inscrit dans la droite ligne du mouvement flower-power de la beats generation.
L’informatique permet de développer un nouveau rapport au savoir et à la culture. Cet esprit du web est fièrement incarné par Google qui, avec son « esprit Google », vise à établir une communauté de consciences et de connaissances librement accessible à travers le monde. Son slogan « Don’t be evil » (ne faites pas le mal) ajoute à l’ensemble une dimension morale de bienveillance (faisons mine d’oublier la surveillance et la monétisation d’espaces publicitaires… hum). Le but est de donner accès aux outils pour faire des personnes des créateurs, des contributeurs et non plus une audience passive. L’informatique est un vecteur de contre-culture et d’idéalisme. Le festival Burning Man, dans le désert du Nevada est le lieu de rencontre des technophiles de la Silicon Valley, et n’a rien à envier à Woodstock.
La presse technophile des années 90 rend l’informatique glamour et « hype ». Le PC n’est plus réservé au nerds, car plus accessible et plus facile d’utilisation. Le mythe californien qui s’est imposé comme une idéologie dominante dans l’univers des nouvelles technologies. L’entrepreneur audacieux, inventif, créatif et innovant apparaît comme une figure majeure de notre époque. Chacun pourrait se réaliser et changer le monde grâce à l’informatique. L’innovation et l’esprit d’initiative sont récompensés par les succès financiers. L’informatique serait vectrice de changement mondial positif, du moins, selon une philosophie occidentale, nord-américaine et protestante incarnée par la Silicon Valley, berceau de la micro-informatique, du web et des principales entreprises leaders de ces marchés.
Les technophobes
Mais l’utopie numérique n’est pas partagée par tous. Certains voient en internet et en l’informatique en général un danger. Selon eux, la connexion à l’internet mondial favorise l’acculturation, la mondialisation d’une pensée unique, l’uniformisation des références. Les technophobes considèrent que les technologies, et plus particulièrement l’informatique, sont aliénantes, contraignantes, totalitaires et dangereuses. Ils voient dans la généralisation des machines la déliquescence de l’humanité et la menace prométhéenne de l’homme voulant se rendre maître du monde.
Technosceptiques, technocritiques, ils s’interrogent sur l’impact des technologies sur l’humanité et les possibles dérives qu’elles induisent. Pour eux, l’omniprésence de la technologie dans notre quotidien nous contraint plus qu’elle ne nous aide. De plus, les technologies informatiques sont utilisées par les autorités pour pratiquer la surveillance de masse et par les grandes entreprises pour une récolte massive des données personnelles des utilisateurs. Ces atteintes à la vie privée sont le cheval de guerre des technophobes.
Ces considérations correspondent à l’idée de déterminisme technologique portée notamment par le philosophe allemand Gunther Anders. « Les instruments […] ne sont pas de simple objets que l’on peut utiliser mais déterminent déjà, par leur structure et leur fonction, leur utilisation ainsi que le style de nos activités et de notre vie. » Ainsi, le changement technologique entraînerait de facto un changement social.
Le trans-humanisme : avenir de l’humanité ?
Se développe également la géo-ingénierie qui postule que grâce aux technologies de l’informatique nous pourrions régler les problèmes environnementaux et sanitaires. Ainsi, les pandémies, le VIH, le cancer pourront être éradiqué à l’avenir grâce aux avancées technologiques. Les innovations techniques transformeront la santé et permettrons de sauver des vies et d’augmenter l’espérance de vie. C’est déjà le cas avec par exemple, les objets connectés en lien avec la santé, les nanotechnologies utilisées en chirurgie, l’impression 3D de prothèses, les organes artificiels.
L’homme rêve d’un humain augmenté grâce à la technologie. Le vieillissement, le handicap et la mort ne seraient plus que des mauvais souvenirs et les organes, des pièces détachées interchangeables et produites en usines. Il existe une forte croyance dans le pouvoir bienfaisant des technologies avec parfois un soupçon de déisme et d’Intelligent Design (croyance selon laquelle les évolutions biologiques et techniques seraient la volonté de dieu, internet serait donc une sorte de don du ciel).
La philosophie technophile est poussée à l’extrême par le mouvement transhumaniste. Cette idéologie repose sur un rêve d’immortalité, de sur-homme transcendé par la technique rendu possible par les innovations technologiques. Le but du transhumanisme est d’améliorer les performances des hommes pour en faire des sur-hommes, des humains augmentés plus performants et plus résistants. En parallèles, les machines sont dotées d’intelligences artificielles proches du comportement humain.
Faut-il avoir peur de l’intelligence artificielle ?
L’informatique a permis de développer des intelligences artificielles de plus en plus précises. Or, le fait que les machines soient amenées à copier les comportements humains inquiète la communauté scientifique. Le scientifique Stephen Hawnking lui-même met en garde contre ces programmes informatiques de plus en plus « intelligents », qui singent les modes de pensées des hommes. « Réussir à créer l’intelligence artificielle serait le plus grand évènement de l’histoire de l’humanité. Malheureusement, cela pourrait être aussi le dernier, à moins que l’on apprenne à prévenir les risques », déclare le scientifique britannique de renommée mondiale.
Mais Gérard Berry, membre de l’Académie des Sciences, s’empresse de nous rassurer au sujet des intelligences artificielles qu’il considère comme une avancée technologique majeure. L’informatique permet l’avènement d’une nouvelle forme de « vie ». Mais si les ordinateurs battent les hommes aux échecs à plate couture, ils n’ont pas encore ce que l’on pourrait considérer comme des idées. L’informatique ne remplacera pas l’esprit humain car les hommes sont curieux et créatifs par nature. Les ordinateurs et les machines sont de formidables outils, mais ils restent des outils. Et Joël Decarsin, fondateur de l’association Technologos, de déclarer, « La première différence entre un humain, même le plus crétin, et un robot, même le plus perfectionné, c’est que le second ne se pose jamais de question. »
La technologie est neutre sur le plan moral.
Mais il convient pour l’heure de relativiser ce type de projets qui comportent une grande part de fantasme avant de crier à la dystopie et au cataclysme mondial. Votre micro-onde ne vous fait pas encore la conversation au petit-déjeuner et on ne télécharge toujours pas le contenu de votre cerveau sur un disque dur. Les technologies en elles-même ne sont pas à mettre en cause. Il est plus pertinent de s’interroger sur les usages qui en sont faits et les éventuelles dérives à prévoir. Les technologies informatiques doivent faire l’objet de débats éthiques et déontologiques et être utilisées de façon responsable (vous vous doutez bien que c’est loin d’être le cas). « Il faut bien avoir à l’esprit que l’innovation n’a pas de morale, elle n’est pas forcément synonyme de progrès. C’est l’usage qu’on en fait qui compte. Un couteau peut servir aussi bien à faire la cuisine qu’à tuer sa voisine. » déclare Cédric Villani, mathématicien français. Le progrès technologique à lui seul ne change pas le monde mais participe à son évolution. L’informatique nous façonne, modifie notre monde et notre quotidien en influençant nos façons de penser et d’agir. La technologie est à la fois émancipation et assujettissement.
Les nouvelles technologies et le web sont un phénomène mondial. Il n’y a pas une mais des cyber-cultures en fonction des pays, des cultures, des groupes, des usages. Et c’est cette diversité de technologies et d’applications qu’il faut considérer. Internet est un lieu de pluralisme et de diversité. Grâce au web, l’humanité est capable de nouvelles créations. On invente, on se concerte, on débat partout à travers le monde pour tenter d’assurer un meilleur avenir à l’humanité. Et si l’informatique ne sauve pas le monde à elle seule, elle révèle dans ses évolutions d’une volonté humaine de progrès et d’amélioration. Pour conclure, pensons à cette citation de Norbert Wiener, théoricien et mathématicien : « Le progrès implique non seulement de nouvelles possibilités pour l’avenir mais également de nouvelles restrictions. »